Par le docteur Stéphane CASCUA, médecin du sport
Rédacteur en chef de www.docdusport.com
Jean-Marie a 47 ans. Il fait de la course à pied assidument depuis toujours. Il croise régulièrement avec du vélo et un peu de renfo. Bref, un super programme ! Ah oui, j’oubliais ! Il bricole un peu … Il vient me voir car il souffre du coude droit.
Jean-Marie : J’ai fait pas mal d’examen. Une échographie et une IRM qui montrent une désinsertion partielle d’un tendon. Celui des muscles qui plient les doigts. Le compte rendu mentionne : épicondyliens médiaux.
Le Doc : Quels traitements avez-vous initié ?
Jean-Marie : J’ai fait beaucoup de kiné … ça n’a servi à rien ! J’ai fait deux PRP, les injections de plaquettes qui recollent les tendons. Là encore, sans résultat. Du coup, on m’a prescrit un EMG qui analyse la conduction nerveuse afin de savoir si le nerf cubital n’était pas coincé. Le bilan s’est avéré normal.
Le Doc : Mais, vous souffrez dans quelles circonstances ? Quand vous serrez la main ? Quand vous utilisez un tournevis ? Quand vous portez une valise ? …
Jean-Marie : Rien de tout ça ! Je ressens ma douleur quand je cours, surtout lorsque je fais de la piste à VMA. J’ai essayé de bien relâcher mes bras et de desserrer mes doigts … aucun effet !
Mon cerveau émet une hypothèse improbable mais classique … La lésion des tendons ne serait qu’une découverte d’imagerie sophistiquée et performante ! Elle ne serait pas à l’origine des douleurs ! Le problème serait ailleurs !
Le Doc : Vous m’avez bien dit que vous ne fumiez pas et que vous n’aviez pas d’hypertension artérielle !
Jean-Marie : … oui, oui je confirme !
Le Doc : Vous avez fait une prise de sang recherchant l’excès de cholestérol ou de sucre récemment ?
Jean-Marie : Oui en début d’année. Tout était satisfaisant.
Le Doc : Existe-t-il des problèmes cardiaques dans votre famille ?
Jean-Marie : Oui malheureusement ! Mon père est mort d’infarctus brutalement à 52 ans. Comme moi, il ne fumait pas, ne buvait pas. Il était mince et actif. Il n’avait ressenti aucun symptôme auparavant … Vous croyez que ma douleur de coude peut être d’origine cardiaque ?
Le Doc : On se doit d’éliminer cette hypothèse. Vous n’avez pas mal à la poitrine mais la face interne du bras s’enregistre au même étage de la moelle épinière que le cœur. On parle de métamère. Le système nerveux confond parfois un peu les localisations. C’est ce qu’on appelle une douleur irradiée. Elle est plus fréquente à gauche, du côté du cœur. Mais, elle s’exprime parfois à droite … comme sur votre coude. Contrairement à votre papa, vous faites du sport à haute intensité. Lors de ce type de séance, votre cœur a besoin de beaucoup d’oxygène. Les obstructions partielles des artères du cœur par des plaques de graisse deviennent rapidement le facteur limitant. Chez vous, les symptômes se sont manifestés plus précocement. Je vais vous pistonner pour un rendez-vous rapide avec un excellent cardiologue du sport rodé à ce type de tableau clinique.
J’appelle mon collègue. Il comprend rapidement la situation et lui dégote une épreuve d’effort le lendemain. Elle sera vite interrompue tant les signes électriques de mauvaise oxygénation cardiaque sont précoces et évidents. S’enchaînent alors rapidement les images ultraspécialisées des artères du cœur et l’opération visant à dilater les artères obstruées.
Sans cette prise en charge rapide, Jean-Marie aurait pu faire une crampe du cœur ou une crise cardiaque à l’effort, à l’origine d’une mort subite du sportif … apparemment en forme !
De ce cas clinique authentique, chacun peut en déduire des notions essentielles. Premièrement, le poids majeur de la génétique et des antécédents familiaux en l’absence d’autre facteur de risque.
Deuxièmement, l’efficacité d’une épreuve d’effort après 40 ans dans ce contexte pour rechercher une pathologie artérielle. Troisièmement, l’existence fréquente de symptômes atypiques incitant à la même prudence que la classique douleur thoracique !
Prenez soin de vous !
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