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LA DOULEUR MEMORISEE, LA PLAIE DU SPORTIF !

Par le docteur Stéphane CASCUA, médecin du sport

 

La douleur provient d’une blessure de l’appareil locomoteur. L’information est véhiculée dans les nerfs puis dans les réseaux de neurones du cerveau. Il arrive que la lésion cicatrice et que les connections cérébrales persistent ! Explications et solutions !

 

 

« Ta blessure, c’est dans la tête ! » Cette expression n’a rien d’une injure.  Le cerveau est un organe à part entière ! C’est même le patron, il centralise l’ensemble des renseignements en provenance du corps. Il peut lui aussi souffrir d’un mauvais fonctionnement ! Il peut lui aussi être rééduqué … et guérir ! 




 

 

Apprendre, c’est facile ! Oublier, c’est difficile !

 

 

Nous sommes programmés pour nous rappeler des événements traumatisants. Notre survie en dépend ! Lorsque sapiens, au cours de la chasse, croisait un ours furieux près de sa tanière, son cerveau déchargeait un flot d’adrénaline. Cette molécule encrait le moment et l’emplacement dans ses souvenirs ! Il était impératif qu’il ne repasse plus jamais à cet endroit ! Apprendre est facile et oublier est difficile ! Le 13 novembre 2015, les spectateurs du Bataclan ont appris la terreur en quelques secondes ! Dix plus tard, ils travaillent encore pour s’apaiser !

 

L’EVENEMENT STRESSANT EST GRAVE POUR EVITER QU’IL NE SE REPRODUISE

 

Après le débarquement en Normandie, 60% des soldats inaptes au combat étaient des syndromes post-traumatiques. La guerre du Vietnam a tué 58 000 américains sur le terrain … et 40 000 se sont suicidés après leur retour aux Etats-Unis ! A chacun son syndrome post-traumatique ! Parmi les cyclistes professionnels, les sprinteurs sont les victimes emblématiques. Après avoir percuté les barrières latérales, ils sont éjectés ! Ils se voient tournoyer dans les airs et retomber lourdement dans un fracas de carbone et d’acier … accompagné d’une explosion de douleurs ! Pendant de longs mois, leurs connections neuronales multisensorielles gravées par le stress restituent cette information paralysante. Des flashs réapparaissent quand le peloton commence à chahuter à la vision de la bannière « Arrivée » ! Mais, les consultations de médecine du sport plus classiques ne sont pas dépourvues de syndrome post-traumatique. J’ai vu des vététistes passionnés le week-end, vélo tafeurs en semaine percutés par des voitures.

 

 

LES CHUTES ET LES BLESSURES GRAVES SONT DES EVENEMENTS TRAUMATISANTS

 

Après consolidations de leurs fractures, ils m’ont décrit souffrance physique, sidération et crises de larmes en tentant d’enfourcher leur machine sur le canal de l’Ourcq loin de la circulation et des difficultés techniques !  Même chose pour des cavalières, apparemment rétablies de leurs blessures physiques, envahies de douleurs séquellaires à l’abord des obstacles où elles avaient chuté quelques mois auparavant … Des tableaux voisins existent aussi à en cas de lésions plus anodines : des tendinites, des claquages ou des entorses sans gravité survenues avant ou pendant des compétitions très investies et préparées de longues dates !  

 

La révision assure la mémorisation !

 

Plus vous relisez votre présentation, plus vous vous en souvenez ! Plus vous répétez ce geste technique, plus vous l’assimilez ! Plus vous écoutez votre douleur, plus vous la mémorisez ! En toute rigueur scientifique, il s’agit d’un processus tissulaire et fonctionnel : la neuroplasticité ! Votre hippocampe produit de nouveaux neurones, vous faites pousser des rameaux nerveux appelés axones et dendrites, vous créez des connections entre les neurones nommées synapses, vous sécrétez des neuromédiateurs qui facilitent et stabilisent cette communication ! Ce n’est pas psychologique, c’est neurophysiologique ! L’inquiétude … comme le stress … potentialisent le processus.

 

ECOUTER SA DOULEUR, C’EST MEMORISER SA DOULEUR

 

Chaque information qui monte aux zones d’intégration douloureuse du cerveau … on parle des aires nociceptives … est filtrée par le secteur limbique qui donne une couleur émotionnelle à l’information. « J’ai peur que ça s’aggrave », « Je vais devoir renoncer à cette compétition que je prépare depuis des mois », « Et, s’il fallait m’opérer … peut-être même porter une prothèse ! », « mon généraliste m’a dit que je devais me reposer … mon rhumatologue me conseille d’arrêter le sport ! ». Toutes ces injonctions anxiogènes exacerbent une mémorisation délétère. Les neuropsychologues disent qu’après le passage à travers les aires émotionnelles la « douleur » devient « souffrance ». De fait, l’information cérébrale finale est inévitablement « souffrance » … elle est toujours connotée par le vécu affectif ! Bientôt, la lésion sera cicatrisée, elle est même peut-être déjà guérie … mais le réseau neuronal qui fuse vers l’intégration nociceptive est désormais gravé ! Toute information banale en provenance de la zone suspecte prend désormais le chemin de la douleur et de la souffrance ! Il faut rassurer et rééduquer votre cerveau !

 

 

Comment soigner la douleur mémorisée ou émotionnelle du sportif

 

 

En cas de syndrome post-traumatique, les psychologues enclenchent des stratégies spécifiques. La plus classique est l’EMDR ou, en français, « Désensibilisation et Retraitement par les Mouvements Oculaires ». En pratique, votre thérapeute vous demande de suivre son doigt avec vos yeux jusqu’à reproduire le déplacement propre au sommeil du rêve. Simultanément, il vous propose de repenser au moment traumatisant. Tout se passe comme si le contexte onirique vous permettait de classer l’évènement dans votre mémoire afin qu’il ne surgisse plus dans votre vie quotidienne ou sportive.

 

EMDR POUR CLASSER L’EVENEMENT

 

 

La méditation avec accueil des sensations, des douleurs et des émotions vous fait prendre conscience des confusions au sein de vos processus cognitifs … et de les dissocier peu à peu ! Bien sûr, la verbalisation et le dialogue bienveillant permettent également d’assimiler le traumatisme, de rassurer et de restaurer un peu d’objectivité à l’emballement émotionnel. En cas de lésion chronique … guérie ou presque … et surtout mémorisée … la poursuite ou la reprise de l’activité est essentielle !

 

 

REPRISE DE L’ACTIVITE : LA DOULEUR N’EST PAS LE HANDICAP

 

 

Elle assure la dissociation entre douleur et handicap : « J’ai mal mais je peux faire … Je ne suis pas condamné à la sédentarité et au déclin !  … En plus le doc m’a garanti que les contraintes mécaniques de l’activité bien dosées mécanisent la cicatrice en cours ! je ne m’aggrave pas … au contraire, le mouvement est facteur de récupération tissulaire et fonctionnel ». Peu à peu, votre cerveau déconnecte les zones anxieuses … la souffrance disparait ! 

 

 

ACCEPTATION POUR EVITER ATTENTION ET CONCENTRATION

 

 

La méditation dans l’action booste le processus ! Il est conseillé d’accueillir la douleur et toutes les autres informations corporelles ! Elle ne va pas augmenter, bien au contraire ! L’acceptation est aux antipodes de l’attention et de la concentration !  Spontanément, cette information se mêle à la perception de vos appuis sur le sol, de votre geste, de votre souffle apaisant, du vent sur votre visage, du chant des oiseaux et du paysage champêtre. On parle de phénomène de dilution ! Peu à peu, les indications en provenance de la zone autrefois blessée retrouvent l’intensité qu’elles méritent ! Vous avez de moins en moins mal … et votre douleur ne tarde pas à s’estomper !

 

 

MEDITATION ET ACCUEIL DES SENS POUR DILUER LA DOULEUR

 

 

Très souvent, en cas de syndrome post-traumatique ou de douleur mémorisée, patients arrivent à l’issue de nombreux avis médicaux affublés d’une grosse pile d’examens complémentaires.  Ils synthétisent : « on m’a dit que tout était normal … mais j’ai toujours mal ! ». En pratique, il reste souvent une petite épine irritative mécanique structurale et fonctionnelle. Elle est passée sous les radars des analyses et des images traditionnelles. Il persiste quelques micro cicatrices anarchiques appelées adhérences. Elles tiraillent lors du mouvement. Pas d’inquiétude, il faut bouger pour les libérer … parfois réaliser un peu d’automassage.

 

 

LE SPORT PROGRESSIF POUR GERER LES ADHERENCES ET LE DECONDITIONNEMENT

 

 

Il perdure aussi un déconditionnement. Les muscles sont moins forts, moins souples, moins endurants et moins bien coordonnés qu’avant la blessure et le repos forcé. Là encore, le retour progressif à l’activité physique constitue la meilleure stratégie. Dans ce contexte, il est vivement recommandé de « démédicaliser la prise en charge » ! Si la kinésithérapie risque de faire durer la dépendance et les échanges anxiogènes, la reprise du sport encadrée, bienveillante et en pleine conscience permet de renouer avec les pratiques antérieures sources de plaisir … oublié depuis trop longtemps !

 

La blessure physique, la pudeur du psychique ?

 

Le sportif compétiteur est habitué à gérer la douleur, à tolérer la fatigue et à poursuivre sa route ! Pour lui, exprimer un mal-être est complexe, surtout quand il est mal défini, enfoui, enkysté ou inconscient.  Lorsqu’il ne parvient pas à le verbaliser, à classer le traumatisme, à régler ses problèmes, à apaiser sa souffrance émotionnelle, son psychè disposent de moyens de communication annexes, de voyants lumineux voire d’alarmes de secours ! Le corps et les organes constituent des opportunités pudiques pour exposer la douleur morale. Bien évidemment, ce sont les points faibles et les zones fusibles qui vont parler … puis hurler en cas de sourde oreille.

 

L’EMOTION CONTRAINTE AU SILENCE

FAIT PARLER LES FUSIBLES DU CORPS

 

Le migraineux a mal à la tête. Le colopathe voit son ventre gonflé et spasmé. Le lombalgique se plaint du dos en faisant son lit.  Le musicien entend des acouphènes. Le trader ressent des contractures cervicales en balayant ses 6 écrans … Et, le sportif souffre à l’entraînement ! Son activité physique est un point culminant de ses valeurs, il est normal que son psyché s’en empare pour être entendu ! Voilà qui saisit l’athlète : « Actuellement, c’est ma soupape, c’est le seul moment pendant lequel je parviens à me détendre ! … Imagine ! Si je ne peux plus courir ! ». Alors, il surveille, il écoute, il apprend par cœur cette douleur. Elle devient handicapante ! Et, le patient ajoute : « Cette blessure me mine, si je pouvais guérir de cette lésion, j’irais bien ! »  … Et là, il se trompe !

 

SANS CETTE DOULEUR, J’IRAIS BIEN … PAS SUR !

SI J’ALLAIS BIEN, J’AURAIS MOINS MAL … SUREMENT !

 

Le doc éponge et bienveillant rectifie en douceur : « Je crois aussi que si vous alliez mieux, vous auriez moins mal ! … Disons que c’est un cercle vicieux … Vous n’avez pas rien, vous avez une petite tendinite qui vous envahit, véhicule souffrance et surmenage ! ». Souvent, le sportif ne peut pas accepter l’information … parfois, son mode de fonctionnement l’empêche même de comprendre cette interprétation iconoclaste ! Tant pis, il faut que le thérapeute transmette le message. Il initie alors le long chemin qui mène au soulagement et à l’harmonie.  Le médecin du sport expérimenté a le droit et le devoir de faire le diagnostic d’expression locomotrice et pudique d’une souffrance émotionnelle. Il détermine la lésion, il confirme qu’elle est sans gravité et que son patient peut continuer à faire du sport ! Il précise que l’activité ne doit pas être trop intense. C’est valable pour le corps comme pour l’esprit … il s’agit même d’un message du premier vers le second ! L’objectif du sport n’est pas de s’épuiser pour s’apaiser !

 

S’APAISER SANS S’EPUISER : UN MESSAGE DU CORPS ET DE L’ESPRIT !

 

Désormais, il est impératif d’emprunter un autre itinéraire pour retrouver la sérénité. Dans un premier temps, il est indispensable de cesser toute surenchère diagnostique et thérapeutique. Avec cette pile d’examens complémentaires normaux ou presque, à l’issue des multiples avis experts non contributifs, toute agitation médicale ferait fausse route. Cette procédure a été suffisamment anxiogène, chronophage et énergivore ! Il faut commencer à se reposer, à régénérer les messagers chimiques du cerveau ! Démembrer, décrypter, soigner le mal-être profond n’est plus du ressort du médecin du sport. Il se doit de déléguer ce versant de la prise en charge au spécialiste ! Ce praticien expert peut même envisager un traitement anti-dépresseur si la douleur morale intense et l’épuisement organique du cerveau empêchent le sportif de faire le travail mental nécessaire à sa guérison.   

 

 

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