Par le docteur Stéphane CASCUA, médecin du sportRédacteur en chef de www.docdusport.com
La douleur en bas du ventre est une blessure classique du terrain de foot. Cependant, l’engouement pour la course a largement contaminé la route et la montagne ! Explications, solutions et prévention !
Je me souviens d’une vidéoconsultation atypique 😊. Richard prend contact avec moi, il est inquiet ! Sur mon écran, je le découvre au volant de sa voiture. Il roule au pas dans le tunnel du Mont Blanc embouteillé. Il revient d’un week-end choc dans les Alpes, 3 semaines avant l’UTMB. Il a très mal au pubis. Même si les tests sont impossibles, l’entretien rigoureux et exhaustif mène au diagnostic. Il souffre d’une pubalgie du traileur … Après un traitement médical ciblé, une rééducation experte et des conseils sportifs, il sera au départ de son ultra mythique où il fera un bon chrono !
Pourquoi une pubalgie chez le coureur ?
Le pubis est l’articulation qui fait la jonction antérieure entre les deux pièces osseuses du bassin. A sa face supérieure s’accrochent les muscles abdominaux. On y trouve les grand-droits, la fameuse plaque de chocolat, qui s’insèrent bien au milieu grâce à un gros tendon épais. Un peu plus sur le côté, s’amarrent la membrane tendineuse plus fine provenant des abdominaux transverses et obliques. Elle est plus fragile, d’autant qu’elle est percée d’un orifice naturel permettant le passage des vaisseaux sanguins et des canaux de l’abdomen vers les testicules. En dessous du pubis, s’amarrent les adducteurs qui descendent à la face interne des cuisses et assurent les changements de direction.
CARREFOUR DU PUBIS : UNE ARTICULATION, LES ABDOS, LES ADDUCTEURS
A la description des forces en présence, vous imaginez bien les contraintes mécaniques en étoile qui s’exercent sur cette zone anatomique appelée aussi carrefour pubien. Chez le simple coureur, chaque appui sur une seule jambe cisaille le cartilage du pubis. Et, ce microtraumatisme survient 150 à 200 fois par minute ! Chez le traileur, le stress articulaire augmentent considérablement à l’occasion des réceptions plus rapides et plus instables en descente. Les adducteurs travaillent beaucoup pour vous freiner et vous équilibrer ; surtout si vous écartez un peu les jambes et si vous ouvrez les pieds. De surcroit, pour ralentir vous rejetez vos épaules en arrière et vous suspendez votre buste à vos abdominaux. Ces mécanismes sont responsables de multiples blessures aux niveaux du pubis. Parfois votre médecin du sport détecte une seule lésion tissulaire. Souvent, elles s’associent et s’aggravent mutuellement en disloquant le pubis
Plusieurs types de pubalgies
Sur le route, c’est principalement l’impact alterné sur une seule jambe qui agresse votre pubis. Il peut se produire une érosion de la plaque de cartilage qui fait la jonction entre les deux os du bassin. Des petits copeaux se décrochent, les globules blancs arrivent massivement pour nettoyer et finissent par attaquer le tissu sain. C’est l’emballement inflammatoire ! L’os sous-jacent est irrité à son tour alors qu’il est, lui aussi, contorsionné par les réceptions successives. Il peut se fissurer ! C’est la fracture de fatigue du pubis ! Elle est devenue trop fréquente depuis la banalisation du marathon, vendu comme accessible après 6 voire 3 mois d’entraînement ! Elle survient même chez le pratiquant de longue date victime de la surenchère des distances en trail ! Le point d’accrochage des adducteurs présente parfois des microdéchirures. On parle d’enthésopathie. Plus souvent, les tendons plats et fragiles des abdos se distendent er se dilacèrent. De temps à autres, ces derniers se déchirent et laissent une portion du sac contenant le tube digestif descendre dans l’orifice ouvert. C’est la hernie inguinale. Vous comprenez désormais pourquoi, le mauvais fonctionnement d’un muscle ou d’un tendon altèrent la stabilisation de l’articulation et aggrave son surmenage. A l’inverse, vous saisissez qu’un pubis manquant de fixité réclame une surutilisation des tissus musculotendineux qui l’entourent. C’est ainsi que s’enclenche le cercle vicieux de la pubalgie !
Des signes très évocateurs
Votre médecin vous pose de nombreuses questions et recueille vos symptômes. Il retrouve souvent une période de surcharge d’entraînement. Comme Richard, vous avez peut-être programmé un week-end choc trop choc, avec trop de relief technique pour un parisien qui travaille les bosses sur la butte Montmartre ! Parfois, vous avez enchaîné plusieurs compétitions trop rapprochées, en tentant de faire un chrono à chaque fois. Le plus souvent, vous avez tout simplement manqué de progressivité et d’humilité dans l’accroissement des kilomètres et des dénivelés.
SURCHARGE D’ENTRAINEMENT : LA CAUSE LA PLUS FREQUENTE !
Au cours de votre footing, vous souffrez de plus en plus précocement. Vous ne tardez pas à être gêné à l’impact de chaque foulée. La douleur augmente lorsque vous dévalez une descente, quand vos appuis sont plus instables et que vous vous penchez en arrière pour ralentir. Au fil des jours, vous avez mal dans la vie quotidienne, en vous retournant la nuit, en éternuant ou en toussant. Lors de l’examen clinique, les sautillements, la sollicitation des abdominaux ou des adducteurs, la palpation du pubis et des orifices herniaires vous font mal. Bien sûr, tous ces tests ne sont pas forcément positifs. Leur association dépend de la nature de vos lésions : articulations, paroi abdominale ou adducteurs. Attention, votre médecin aussi éliminer les autres causes de souffrance locale, notamment une arthrose de hanche qui commence …
DES TESTS SPECIFIQUES DU PUBIS, DES ABDOS ET DES ADDUCTEURS
Les examens complémentaires permettent de confirmer, de quantifier et surtout de déterminer les tissus concernés. La radio montre bien le surmenage chronique du pubis qui présente des berges grignotées, parfois pourvues de petits becs osseux. L’échographie experte décrit l’inflammation, la distension des tendons abdominaux fins et plats.
RADIO, ECHO ET IRM EN SYNERGIE
Bien sûr, elle peut observer la hernie qui descend à cet endroit notamment quand vous toussez. L’IRM met en évidence un œdème de l’os sous l’articulation et au point d’accrochage des adducteurs. Elle visualise parfois une véritable fissure.
Le traitement est d’abord sportif !
Bien évidemment, le repos complet n’est pas justifié. Vous pouvez garder la forme mais il faut stabiliser votre bassin, détendre vos abdos et rester dans l’axe ! Facile, vous avez reconnu le cyclisme. Les fesses posées sur la selle, le buste penché en avant, vous n’aurez pas mal ! Attention, la blessure est souvent le premier fusible du surentraînement. Il est souvent opportun de programmer des séances cool. Même Richard a pédalé en douceur ! Il était temps qu’il enclenche son affûtage pour avoir la pêche lors de son UTMB prévu 3 semaines plus tard. Beaucoup d’entre vous peuvent néanmoins décliner toutes les intensités et toutes les durées tant qu’ils sont posés sur leur machine. Les deux jambes en appui et le bassin libre constitue la deuxième étape biomécanique sur le chemin du trottinement. Cette fois vous avez identifié le vélo en danseuse et l’elliptique. Avant la reprise de la course, validez encore une étape ! Un vrai passage obligé pour le traileur : la marche nordique ! L’appui diagonal bras jambe stabilise votre bassin et réduit nettement les contraintes sur votre pubis. A l’occasion de votre grande balade active, vous greffez progressivement des passages en trottinant et vous renouez avec la rando course ! C’est finalement ultra spécifique de l’ultra ! C’est à l’issue de cette dynamique de régénération active locomotrice et physiologique que Richard a performé à l’UTMB.
Le traitement peut devenir médical !
La poursuite de l’activité dans des conditions biomécaniques choisies évite le déconditionnement. Elle permet également de faire cicatriser puis de réadapter progressivement les tissus lésés. Bien-sûr, il est opportun de l’accompagner de compléments alimentaires qui apportent les constituants des tendons, des os et des articulations. On peut citer le collagène, le silicium, la chondroïtine et la glucosamine. En cas de souffrance osseuse et de fissure de fatigue, il est bon d’adjoindre du calcium, de la vitamine D et K.
COMPLEMENTS ALIMENTAIRES POUR RECONSTITUER LES TISSUSPLANTES POUR REDUIRE L’EMBALLEMENT INFLAMMATOIRE
Dans un premier temps, il est possible d’ajouter des plantes qui luttent contre l’emballement inflammatoire autodestructeur. L’association curcumine, boswellia et harpagophytum se révèle très efficace en inhibant différentes réactions propres à l’inflammation. De la kinésithérapie douce est parfois la bienvenue. La physiothérapie réduit l’irritation des tissus abîmés.
KINE : PHYSIOTHERAPIE, MOBILISATIONS ET ABDOS HYPOPRESSIFS
L’apprentissage des abdos dits hypopressifs permet de stabiliser le bassin sans malmener les tendons. Des massages énergiques de l’insertion des adducteurs peut stimuler leur cicatrisation. Des étirements et des techniques dites myotensives aident à faire céder les contractures qui participent au cercle vicieux de la pubalgie. Il est également conseillé de réharmoniser le fonctionnement du bassin, particulièrement au niveau de la hanche. Sans oublier la sacro-iliaque qui est située à la base de la colonne vertébrale et qui fonctionne en miroir du pubis. Mobilisations kinésithérapiques voire manipulations ostéopathiques participent souvent au soulagement. Si cette stratégie n’enclenche pas une dynamique de soulagement progressif, il est possible d’être un peu invasif ! Après plusieurs semaines d’évolution infructueuse, une infiltration se montre bénéfique pour apaiser l’inflammation désormais installée dans l’articulation.
UNE INFILTRATION PARFOIS
UNE OPERATION RAREMENT
Si la paroi abdominale ne cicatrice pas, il est possible de la réparer chirurgicalement. L’opération consiste à suturer et retendre les tissus. Elle est incontournable en cas de hernie inguinale. La reprise de la course peut se faire progressivement à partir de 6 semaines et le trail plus engagé est envisagé vers 3 mois.
La prévention, comme une leçon du traitement !
De notre thérapeutique sportive, vous déduisez les concepts de prévention ! L’entraînement croisé est indispensable, surtout pour encaisser la préparation aux grosses distances. Il est vivement conseillé de réaliser les séances intenses sans malmener l’appareil locomoteurs. En pratique, au-dessus de 80% de VO2max, n’hésitez pas à faire du vélo, de l’elliptique, du stepper ou de l’escalier.
SEANCES DURES SUR VELO OU ELLIPTIQUE
Ce choix est d’autant plus pertinent que ces gestuelles ne sont presque jamais utilisées en compétition. En revanche, cultivez le rendement et la technique à la vitesse de vos épreuves. Cherchez les bosses de votre région, mangez du relief ! Faites la part belle à la rando-course avec bâtons pour entraîner les bras et ménager les jambes … et pour travailler la rentabilité de ce geste omniprésent en compétition ! Bien évidemment, de temps à autres, une longue sortie vélo sollicite le métabolisme de l’épreuve et repose les articulations. Vous pouvez même entraîner votre force musculaire spécifique en vous mettant en danseuse dans les bosses, avec un mouvement proche de celui de la grimpette en trail.
LONG ET LENT POUR L’ADAPTATION TISSULAIRE ET LE RENDEMENT
Faites du tapis en pente dans votre salle de sport ou à la maison. Le Nordic Track propose jusqu’à 40% en montée et jusqu’à 6% en descente. Le dénivelé négatif modérée, lent et progressivement long constitue une bonne thématique pour adapter peu à peu votre pubis aux impacts et vos muscles au freinage … Vos week-end choc seront moins choc ! Vous éviterez la blessure en période de charge, quelques semaines avant votre épreuve. Votre appareil locomoteur encaissera sans souci votre gros trail ! Vous optimiserez le chrono … et surtout maximiserez le plaisir !
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