Les navigateurs de la route du Rhum maîtrisent seul leur voilier de 60 pieds pendant une dizaine de jour. Voilà qui nécessite des qualités athlétiques insoupçonnées ! Découverte avec Bernard JAOUEN, préparateur physique au « Pôle Finistère Course au large ».
par Stéphane CASCUA, médecin du sport
La route du Rhum, c’est déjà de la « super endurance » : 8 à 12 jours d’activité physique quasi continue. C’est aussi de gros pics de puissance cardiaque et de force musculaire à des moments cruciaux : changement cap, modification des surfaces de la voilure ! Enfin, c’est un boulot d’équilibriste sur sol instable, glissant et vibrant, 24 heures par jour … et surtout la nuit !
Une endurance de marathonien
Pour assumer avec aisance, l’exercice physique permanent d’un skipper, mieux vaut être en forme ! Le geste technique est plus sûr lorsqu’il est pratiqué à une faible proportion des capacités maximum. Il peut être répété plus longtemps sans erreur. Alors que le bateau roule, tangue et vire, maintenir une position fixe à la barre impose un mouvement perpétuel ! Avec des muscles plus endurants, la posture est conservée plus longtemps sans douleur. Sans compter qu’un navigateur moins fatigué par ses activités physiques, se montrera plus performant pour interpréter la météo et réfléchir sa stratégie ! Ainsi, un coureur au large possède fréquemment une « cylindrée cardiaque » de coureur de fond. Elle se mesure grâce la « consommation maximum d’oxygène » ou VO2 max. Elle atteint souvent de 50 à 53 ml/kg/mn et permettrait de terminer un marathon en moins de 4 heures. Si les sédentaires oscillent entre 35 et 40, certains marins atteignent 70. On avoisine cette fois des chiffres d’athlètes de haut niveau courant les 42 kilomètres en 2H40. Alors, les navigateurs travaillent leur endurance dans l’eau. La natation est plébiscitée et la fédération organise des entraînements en groupe. Cette discipline sollicite les jambes et les bras ; tout comme les activités effectuées à bord. Chaque jour, Jean Pierre DICK nage un kilomètre (voir son RENCONTRE). En début de saison, d’autres apprécient les sorties en VTT.
Des échappées de cycliste.
Un effort intense de quelques minutes est indispensable lors des changements de cap. Ses manœuvres ont lieu tous les 3 à 5 jours et durent 15 à 20 minutes. Précision et rapidité à ses moments clés décident parfois du classement final ! Il faut monter tout le matériel et notamment les lourdes voiles de l’autre côté du pont. On parle de « matossage ». Le poids doit se situer sur la partie haute de la coque, comme un navigateur suspendu « en rappel ». Au cours de cet exercice la fréquence cardiaque atteint environ 170 et le corps commence à produire de l’acide lactique. Les muscles deviennent douloureux et la respiration s’accélère. Ainsi, les navigateurs scrupuleux prennent-ils soins de travailler «au seuil de l’essoufflement » en salle de cardiotraining, sur des durées équivalentes. Le vélo est adapté mais le rameur et l’elliptique sollicitent aussi les bras, c’est mieux pour un navigateur. Les modifications de la voilure s’intègrent aux changements de cap mais se reproduisent aussi indépendamment et plus fréquemment. Le marin doit faire tourner son « winch » à toute vitesse pour hisser les lourdes voiles, sa fréquence cardiaque monte jusqu’à 190 durant 2 à 3 minutes. Un entraînement cardiovasculaire spécifique est nécessaire. Là encore vélo, elliptique et rameur sont utilisés. La salle de sport du « Pôle Finistère Course au large » dispose d’une colonne winch pour reproduire exactement ces contraintes. Des appareils voisins comme le « Top » de Technogym peuvent aussi être employés. Lors de ces séances, les marins s’exercent sur des durées équivalentes à la manœuvre. Plus souvent encore, ils enchaînent 6 à 20 fois, 30 secondes « vite » à cette intensité, 30 secondes « lentes » de récupération.
Des muscles d’haltérophile.
Le travail au winch et le « matossage » imposent d’importantes qualités musculaires. Pour modifier la voilure, il faut s’arque bouter sur le sol, fixer son buste et mobiliser ses bras puissamment. Voilà qui ressemble à l’haltérophilie. De fait, ce type d’entraînement s’intègre à la préparation physique des skippers. La saison commence par des parcours de musculation complet avec des charges légères. Progressivement, les séances gagnent en spécificité et en intensité. A l’approche des compétitions, elles insistent tout particulièrement sur les « squats », les « développés couchés » et les « tirés ». Ces exercices correspondent aux mouvements de soulèvement et de déplacement des voiles dans les cales lors du « matossage ». Ils se rapprochent aussi de plus en plus au moulinage. La progression s’achève par des ateliers au « winch » contre forte résistance. La transmission des forces entre les points d’appui au sol et les membres supérieurs est toujours perturbée par les mouvements du bateau. En conséquence, le gainage du tronc se fait en condition d’instabilité, notamment en utilisant de gros ballons de fitness.
LES EXERCICES D’HALTÉROPHILIE PRÉPARENT BIEN AU MOUVEMENT DU WINCH
Un équilibre d’acrobate
Le skipper doit conserver son stabilité malgré les incessants mouvements du bateau… de jour comme de nuit ! La coque fouettée par les vagues est toujours mouillée et glissante. Les vibrations à hautes fréquences du carbone épuisent ses réflexes musculaires. Pour des raisons de rigidité et d’aérodynamisme, le pont est parfois en « ailes de mouettes », surplombée de deux convexités : pas facile de rester debout ! La préparation physique inclus systématiquement un gros travail de coordination. En salle de sport, le skipper s’entraîne à se mouvoir sur de gros tapis de saut à la perche, yeux ouverts et yeux fermés. Il s’y déplace en manipulant des charges lourdes et encombrantes. Il y réalise même des squats. Enfin, pour adapter la vision et les réflexes de coordinations aux tremblements de la coque, il serait bon de travailler l’équilibre sur plateformes vibrantes.
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